Oui, c’est violent

A un comédien qui joue “efficace”: ça ne m’intéresse pas, ce que tu sais faire. Cette vérité-là a quelque chose à voir avec  l’arrogance de soi-même, la falsification, la mort.

Comment peux-tu savoir à l’avance ? Si ce n’est en te – et en nous racontant des histoires. De fausses histoires. Tu déformes notre seule réalité: l’écriture du poète. Tu te sers de celle-ci comme paillasson: tu y mets les pieds, sans regarder.

Les blancs entre les mots, tu ne les vois pas. Tu les piétines. Tu ne les inventes ni ne les habites. Les mots, tu en fais des baudruches et te mire dedans.

Et nous, public, nous nous emmerdons ferme. Nous ne comprenons rien. Nous n’entendons rien.

Oui, c’est violent ce que je te dis là mais tu dois connaitre les conséquences insoupçonnables et irréversibles de cette place où tu es. Tu en seras horrifié. Car tu ne veux pas de tout cela, n’est-ce pas ?
C’est pourtant ce qui arrive lorsque tu sais trop vite.

Je te propose de ne plus rien savoir. De vivre au présent l’écriture qui est entre tes mains. De ralentir ton corps et ton imagination et de goûter chaque seconde. Que chaque mot soit un paysage. 

Que tu essaie de créer, à la place de chaque blanc après un mot, un chemin neuf lequel te permettra de te conduire au mot d’après. Avec tes propres mots. Sans tricher.

Puis, une fois le chemin construit, de les effacer. De faire entendre l’invisible du texte. 

Ainsi, tu seras dans le vivant: épouser le flux continu (et souterrain) de la vie et en même temps la discontinuité qui est propre à toute parole.
Ainsi, tu seras poète car sur le plateau, c’est toi et toi seul le poète.

lorsque tu joues, c’est toi qui écris.

Oui, je te parle d’un autre endroit, lequel entrainera un autre type de « confort », tu verras: le plaisir de jouer. Une jubilation dont tu n’as pas idée…
Tu ne peux rien faire sans plaisir, sans joie. Le vrai plaisir va avec le vrai vertige (et la vraie peur – libératrice): vivre intensément le moment présent, sans connaitre le moment d’après.
C’est sur ce chemin-là que je te propose de nous aventurer: il n’y a pas d’autre aventure, il n’y a pas d’autre théâtre que celui-là.

Tout le reste n’est que falsification.

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